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Dans les pas d’un géant : l’invisible

« Caminante, no hay camino, se hace el camino al andar ».

Toi qui chemines, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant“. Le Journal de l’Ecocentre s’est créé petit à petit autour du champ lexical du chemin, de la marche, des pas à faire non seulement l’un devant l’autre de manière combative, mais surtout de côté, pour changer de perspective, apercevoir des interstices et gagner en sagesse. Ce chemin sinueux, chacun se l’imagine à sa manière, en fonction des expériences de marche vécues, et de ce que celles-ci ont pu éveiller comme processus physique et spirituel. De même, chacun se choisit ses compagnons de marche, et parmi les nôtres se trouve régulièrement Éric-Emmanuel Schmitt. Ainsi, lors de l’émergence de notre groupe de réflexion, le choix de cet imaginaire a immédiatement éveillé notre intérêt. Après ses études, Éric-Emmanuel Schmitt est entré à l’université pour étudier la philosophie et a obtenu son doctorat sur le thème de la philosophie des Lumières. Quelques années plus tard, en 1989, un voyage au Sahara a bouleversé son identité. Le but de ce voyage était purement récréatif mais malheureusement – ou heureusement, selon lui – il s’est perdu. 

Pendant près de deux jours, il a erré seul dans le désert avant d’être retrouvé par ses compagnons de voyage. Mais plutôt que de voir cet incident comme un cauchemar, il a, dit-il, reçu la foi. Parfois, la meilleure façon de se retrouver dans de tels voyages est de se perdre : en perdant sa direction et ses repères pendant un certain temps, Éric-Emmanuel Schmitt a trouvé un courant spirituel intérieur et une nouvelle direction. L’épreuve de la perte de repères extérieurs, au lieu de le faire paniquer ou abdiquer, a permis de lui révéler des ressources et une boussole intérieures. Cette marche dans le désert a donc été le déclencheur d’une expérience spirituelle particulièrement puissante, générant par la suite la caractéristique de ses écrits. 

La rencontre

Toute son œuvre est imprégnée de rencontres interreligieuses et de réflexions sur la complexité des rapports humains. Avec son cycle d’écrits sur l’invisible, on est au cœur de “l’humain en chemin”, notion chère à la démarche de l’écocentre. Un chemin marqué par les incertitudes, mais où peuvent se rencontrer et dialoguer les traditions anciennes avec les courants de pensée contemporains. 

Décrivant cette expérience dans Plus tard je serais un enfant (2018), Schmitt utilise la métaphore de la musique : la rencontre mystique, comme la musique de Mozart, a soulagé ses angoisses fondamentales et l’a placé fermement sur le chemin de la vie. Dans de tels moments, toutes nos questions sont finalement réduites au silence et remplacées par un sentiment d’« unité satisfaite ». À travers le Cycle de l’invisible, il commence alors son voyage narratif dans le paysage créatif des rencontres interreligieuses, le voyage au Sahara lui ayant offert une chance de rencontrer l’étrange, l’invisible, l’incertain.

Avec ce Cycle de l’Invisible, É.-E. Schmitt présente des récits intrigants qui abordent tous la recherche de sens. Tous proposent des rencontres entre des personnes de cultures, de religions et d’âges différents, tous sont des récits denses et humoristiques, à forte portée symbolique. Que ce soit à propos du bouddhisme tibétain, de l’islam sous sa forme soufie, du christianisme, du judaïsme, du bouddhisme zen, du confucianisme et même de la musique et de l’animisme, les personnages expriment souvent une attitude extraordinairement ouverte envers la vérité religieuse : “aucune religion n’est vraie, aucune religion n’est fausse”, selon le Père Pons, prêtre catholique du roman l’Enfant de Noé, (Schmitt 2004, p.65). De même, à la lecture de l’ensemble de l’œuvre, on est frappé des convergences évidentes entre chacune de ces religions ou pensées. Quelque part on en ressort soulagé de constater qu’au-delà des appartenances, une unité fondamentale reste ancrée et solide, un espoir quant aux possibilités de toujours pouvoir s’entendre et se comprendre, même dans les moments les plus forts de divergence. 

Désert dans le Sud marocain / source inconnue

La pensée complexe

Après son séjour au Sahara, Schmitt recherche une forme de langage plus élargie pour communiquer l’étrange, et choisit la littérature comme mode d’expression. Schmitt aurait pu, de par sa formation, aborder les événements et les phases importantes de sa vie par la recherche académique et une certaine rationalité. Il va cependant préférer utiliser, comme canaux d’expressions, la littérature et le théâtre, qui lui offrent la possibilité d’inclure la poésie et la complexité dans l’idée de relier ce qui rationnellement ne semble pas possible ou incohérent. C’est cette capacité à faire des pas de côtés, au sens propre comme au figuré, qui va donner à la personne d’Eric-Emmanuel Schmitt comme à ses personnages, une position médiane et de pont qui ouvre d’autres perspectives. Son approche littéraire intègre la complexité, terme dont l’étymologie « complexus » signifie « ce qui est tissé ensemble », et son but est de légitimer différentes perspectives a priori incompatibles. En jonglant avec les disciplines et en acceptant leurs imbrications, la pensée complexe, en tant que concept initié par Henri Laborit, puis porté plus largement par Edgar Morin, a toute sa place dans l’œuvre de Schmitt qui illsutre alors l’émergence d’un cheminement chez l’humain. Ces cheminements au début multiples, images de cultures, de religions et de sages extrêmement différents, sont particulièrement bien rendus par l’écriture poétique d’Eric-Emmanuel Schmitt. Ils vont converger et révéler au lecteur une unité cachée et le sens profond du mot religion, qui est d’unir dans les différences. Chaque livre permet d’entrevoir une facette de cette profondeur, et c’est la lecture de l’ensemble de ses ouvrages qui permet une approche enrichie. 

Les romans et la fiction peuvent faire prendre conscience de la nécessité d’une humanité pluraliste, capable par l’outil de la pensée complexe de pensées critiques, créatives et responsables. La littérature, telle qu’écrite par Schmitt, est imbibée de pensée complexe et de poésie, et va ainsi rendre palpable un réel que les arguments rationnels n’auraient pu traduire de façon si sensible et directe.

L’humain en chemin peut donc y trouver sa voie : sa mission est de créer respect et sensibilité envers la complexité du monde, promouvoir la paix, la compréhension et la curiosité. À travers les poèmes, la musique et la littérature, nous pouvons entrevoir l’indiscernable et découvrir un monde où la vulnérabilité et l’interdépendance partagées de l’humanité remplacent notre moi individuel et émotionnel en tant qu’axe central.

Eric-Emmanuel Schmitt, interprétant Monsieur Ibrahim et Les Fleurs du Coran, Au Théâtre Rive Gauche, 2018

Pour Schmitt, les rencontres interreligieuses sont des défis complexes où non seulement deux religions (en tant que constructions théoriques et historiques), mais aussi des êtres humains s’élèvent mutuellement. Dans ses romans, la complexité est un mot clé et les lignes de différences transformées dans la rencontre sont multiples : jeune-vieux, musulman-juif, heureux-triste, puissant-impuissant, convaincu-confus. Ces paires de mots, prises horizontalement, génèrent un choix (factice) entre l’un ou l’autre mot. Or, si ces deux mots s’élèvent et s’appuient l’un sur l’autre, ils révèlent des complémentarités et une richesse insoupçonnées. Un dialogue et une circulation peuvent alors se faire entre eux. 

Temple de Kom Ombo | source

En conclusion, l’analyse présentée ci-dessus concernant le cheminement spirituel d’Eric-Emmanuel Schmitt et les convictions et valeurs qu’il promeut aujourd’hui, mettent en lumière une vision du monde incluant un respect sans compromis de la complexité, mais aussi une ouverture à l’idée d’une humanité commune, exprimée dans ces mots : “Ce que nous avons en commun, ce sont les questions, ce qui nous différencie, ce sont les réponses.”

Le Cycle de l’invisible

Schmitt, Eric-Emmanuel, Milarepa (1997), Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran (2001), Oscar et la Dame rose (2002), L’enfant de Noé (2004), Le Sumo qui ne pouvait pas grossir (2009), Les Dix Enfants que madame Ming n’a jamais eus (2012), Madame Pylinska et le Secret de Chopin (2018), Félix et la Source invisible (2019)
Schmitt, Eric-Emmanuel, La nuit de feu (2015) Paris : tous oarus chez Albin Michel.
Schmitt, Eric-Emmanuel, Plus tard je serais un enfant, entretiens avec Catherine Lalanne (2018) Lgf.

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Dans les pas d’un géant : Ulysse from Bagdad

oeil dans la main Gibran
Le Monde Divin, Khalil Gibran en 1923.

Ulysse from Bagdad est un roman écrit par Eric-Emmanuel Schmitt et publié en 2008. L’auteur, qui dans ses romans comme ses pièces de théâtre sait si bien extraire ce qui relève de la quête et du sens dans la vie humaine, aborde deux sujets graves : la guerre et l’immigration clandestine. L’histoire, une fiction inspirée de faits réels et de l’Odyssée d’Homère, est celle de Saad Saad (“Espoir Espoir” en arabe et “Triste Triste” en anglais), un Arabe d’Irak d’une vingtaine d’années qui souhaite émigrer à Londres après la chute de Saddam Hussein. En effet, à partir de 2003 le chaos s’installe dans un pays qui peine à trouver son équilibre démocratique, et la vie quotidienne des Bagdadis est soudain hantée par la peur des attentats. Saad est confronté à la mort de plusieurs proches : Leila, sa fiancée, victime d’un missile tombé sur son immeuble ; son père, tué par erreur par les Américains ; Salma, « sa petite fiancée », sa nièce de six ans qui courait à travers Bagdad quotidiennement pour rassurer les femmes de la maison que Saad était toujours vivant ; Boub, son fidèle compagnon de voyage. Son périple est présenté comme la quête d’un avenir meilleur, symbolisé par l’Occident, et plus particulièrement par l’Angleterre, le pays d’Agatha Christie dont les romans, interdits sous le régime de Saddam Hussein, avaient fasciné Leila et Saad.

Tour de Babel, Bruegel L’Ancien, vers 1563, huile sur bois.

Des parallèles avec l’Odyssée d’Homère peuvent être décelés dans de nombreux passages1 Le voyage d’Ulysse est exploré plus en détail dans le Cycle du Guerrier – Partie 4 . Pour en souligner quelques-uns, la figure des Lotophages se retrouve dans la présence des deux opiomanes et receleurs d’œuvres d’art qui permettent à Saad de quitter l’Irak ; Saad crève l’oeil du Cyclope, un homme borgne à qui il doit échapper pour fuir le centre de détention à Malte ; lorsqu’il échoue sur une plage de Sicile, il rencontre l’amour auprès d’une belle italienne, à l’image de Nausicaa ; enfin l’idée de se cacher sous un mouton dans un troupeau est reprise lorsque Saad s’accroche au dessous d’un camion pour quitter l’Italie (Marques, 2014, p.44-46).

Le personnage de Saad est la grande force de ce roman, car sa persévérance face à l’infinité de défis auxquels il doit faire face surprend le lecteur chaque fois que Saad atteint une nouvelle destination. Le personnage créé par Schmitt reflète la réalité humaine, c’est-à-dire que l’identité de chacun a plusieurs facettes. Au fil des pages, des nouvelles épreuves rencontrées et de la famine, on comprend comment Saad (et tant d’autres) sombrent volontairement dans la clandestinité et finissent par devenir des déportés. En effet, ceux qui se lancent sur des barques en Méditerranée pour aller s’échouer en Europe ou au fond de l’eau, ont été déracinés dans leur propre pays et font ce voyage comme ultime recours. Le livre d’Éric-Emmanuel Schmitt « interroge la condition humaine et, surtout, le concept d’identité » (Marques 2014, p.42). Il permet d’imaginer pourquoi ils abandonnent leurs pays, prennent le risque d’être traqués car sans-papiers, d’être réfugiés, d’être arrêtés dans des camps, d’être refoulés d’un pays qui représente l’espoir.

Pour rappeler rapidement le contexte géopolitique, avec le printemps arabe de 2011 on a vu s’embraser le nord de l’Afrique et une partie du Moyen-Orient. En Occident, on nous fait croire que la raison principale des révoltes est l’émancipation des peuples envers leurs dictateurs, qui étaient cautionnés jusqu’à présent par nos démocraties. Or, les principales raisons de ces révoltes sont la faim, le coût des aliments de base, l’absence de travail et le désespoir né de la certitude que, dans ces pays, on ne peut plus vivre décemment.

Certains passages d’Ulysse from Bagdad (2008) donnent matière à réflexion. Ainsi, quand Saad fait une demande à l’ONU pour obtenir le statut de réfugié, il se heurte à l’orgueil des Occidentaux qui ont délivré l’Irak de la dictature et offert au peuple irakien la démocratie. Si les Irakiens ne savent pas recevoir un tel cadeau, l’Occident s’étonne de la nostalgie d’un peuple pour les heures plus paisibles de la dictature. Ainsi, on se sent empli d’incompréhension et de révolte devant la position qui est en fin de compte la nôtre, celle de l’Occident (Marques 2014, p.46). Même les atrocités subies par les compagnons de voyage de Saad ne suffisent pas à rentrer dans le club très sélect des réfugiés.

Et pour finir, il y a ces mots que nous livre un médecin français qui vient en aide aux sans-papiers, et qui remet même en cause l’Union Européenne : “Le problème des hommes, c’est qu’ils ne savent s’entendre entre eux que ligués contre d’autres. C’est l’ennemi qui les unit. En apparence, on peut croire que le ciment joignant les membres d’un groupe, c’est une langue commune, une culture commune, une histoire commune, des valeurs partagées ; en fait, aucun liant positif n’est assez fort pour souder les hommes ; ce qui est nécessaire pour les rapprocher, c’est un ennemi commun. Regardez ici, autour de nous. Au XIXème siècle, on invente les nations, l’ennemi devient la nation étrangère, résultat : la guerre des nations. Après plusieurs guerres et des millions de morts, au XXème siècle, on décide d’en finir avec les nations, résultat : on crée l’Europe. Mais pour que l’Union existe, pour qu’on se rende compte qu’elle existe, certains ne doivent pas avoir le droit d’y venir. Voilà, le jeu est aussi bête que cela : il faut toujours qu’il y ait des exclus.

Ce discours, qui figure dans un roman publié en 2008, frappe par la justesse de l’analyse. Il nous fait prendre conscience qu’aujourd’hui ce texte est encore plus que jamais d’actualité. Tout d’abord, il permet de comprendre à quel point reste encore dissimulé le rôle des différents acteurs à l’origine de cette vague migratoire. Enfin, on ferme ce livre avec la compréhension que, déracinés dans leur propre pays, beaucoup vont prendre le risque de partir vers l’inconnu, décrit comme un “Eldorado” (Gaudé, 2006) pour conjurer la peur de la déportation. Une telle décision peut amener les concernés à perdre pied, tant les difficultés sont omniprésentes pour de telles traversées.

Steve Jobs
Une oeuvre réalisée par Banksy à Calais.
Bibliographie
  • Gaudé, Laurent (2006) Eldorado. Actes Sud.
  • Schmitt, Eric-Emmanuel (2008) Ulysse from Bagdad. Paris : Editions Albin Michel.

Références

Références
1 Le voyage d’Ulysse est exploré plus en détail dans le Cycle du Guerrier – Partie 4
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Le souffle de la curiosité

La curiosité souffre d’une utilisation accrue du terme pour désigner des désirs indiscrets, importuns, voire malsains. Mais tentons plutôt de voir en la curiosité un moteur de découverte, d’apprentissage. Il ne s’agit pas d’une curiosité vicieuse, mais bien de celle que Thomas d’Aquin appelle studiosité et considère comme une vertu. La curiosité scientifique ou intellectuelle n’a-t-elle pas permis jusqu’alors de connaître le monde dans lequel nous évoluons ? N’est-elle pas la source-même de la recherche ? Cette curiosité-là ne nous perdra pas, et tâchons de ne pas la perdre : elle nous est si précieuse.

tableau copernic
Au XIe siècle, Nicolas Copernic formule sa théorie héliocentrique de la cosmologie sous le nom de Révolutions de sphères célestes, inspirant notamment Galilée et Kepler.

L’ASTRONOME COPERCNIC, ou CONVERSATION AVEC DIEU
OEUVRE DU PEINTRE POLONAIS JAN MATEJKO (1872)

Puisqu’on s’intéresse ici à la curiosité scientifique, il semble important de se pencher en premier lieu sur les aspects scientifiques et neurologiques de la curiosité. Pour le psychanalyste et médecin Loewenstein, la curiosité est le décalage entre ce que l’on connaît et ce que l’on aimerait connaître. Dans cet espace entre le connu et l’inconnu naît le désir de combler ce décalage, le désir de l’apprentissage. Mais la curiosité ne donne pas simplement une raison à l’apprentissage : elle le renforce par divers mécanismes. 

Premièrement, pour répondre au désir créé par la curiosité, on se doit d’être engagé activement, car “un organisme passif n’apprend pas”1Conclusion de l’expérience de Held & Hein (1963). Deux groupes de chatons sont élevés dans le noir. Quelques heures par jour, les chatons sont transférés dans un environnement éclairé. Les chatons du premier groupe peuvent bouger librement, tandis que les chatons du deuxième groupe sont tractés par ceux du premier. Les chatons ont donc la même expérience visuelle, mais ceux du premier groupe sont actifs tandis que ceux du deuxième sont passifs. A la fin de l’expérience, les chatons actifs du premier groupe sont totalement en mesure de bouger dans un environnement éclairé, tandis que ceux passifs du deuxième groupe se cognent aux murs et aux obstacles, comme s’ils étaient aveugles.. La curiosité agit comme un moteur, un souffle qui nous pousse vers ce qui est inconnu ou nouveau.

Deuxièmement, la curiosité sollicite notre imagination : on ne sait pas, mais on hypothétise, on suppose, on prédit. Lorsqu’on apprend, on compare notre prédiction au résultat. D’un point de vue neurologique, une différence entre la prédiction et le résultat, c’est-à-dire une nouveauté surprenante, active une zone du cerveau très riche en neurones dopaminergiques. Ces neurones font partie de ce que l’on appelle communément le circuit de la récompense, qui joue donc un rôle essentiel dans l’apprentissage, mais aussi dans la motivation et la dépendance. L’activation de ces neurones renforce en plus la mémorisation de ce qui vient d’être appris. Ce circuit de la récompense est donc fortement activé lorsqu’on apprend quelque chose de surprenant, qui va à l’encontre de notre prédiction. C’est ce que l’on appelle la novelty reward (récompense de la nouveauté). Notre intérêt se porte vers l’inconnu et se fixe sur l’inattendu, sur les “curiosités”, au sens des choses que l’on ne connaît pas.

On comprend ainsi pourquoi un voyageur ou un explorateur, engagé activement dans ses découvertes, ressent une telle excitation lorsqu’il se retrouve dans le milieu qu’il s’était représenté mentalement. Plongé dans cet environnement nouveau, il collectionne avec satisfaction toutes ses trouvailles (coquillages, insectes, artefacts…), en imaginant quelle disposition les mettrait le mieux en valeur dans son cabinet de curiosités.

Avec de telles approches de la curiosité, l’erreur peut devenir une découverte plutôt qu’un échec. On comprend donc l’importance, dans l’éducation notamment, de développer la curiosité. 

Halle dessine la nature
Le botaniste et biologiste Francis Hallé (ci-dessus), dit : “Si l’on n’a pas de curiosité, on ne peut être ni botaniste ni scientifique. Il faut vraiment de la curiosité pour se mettre dans ces métiers-là. [Le moteur de la curiosité], c’est des impressions d’enfance. Quand on est petit, on ne comprend pas, et petit à petit on arrive à comprendre. Et là, ça devient de plus en plus intéressant. La curiosité a tendance à s’accroître.”2Dans La Méthode Scientifique, 25 décembre 2019, en réaction à une archive du naturaliste Théodore Monod expliquant “Ce qui me caractérise, c’est la curiosité, la curiosité inlassable. C’est une maladie épouvantable !”

Au fur et à mesure que nos connaissances s’accumulent et se consolident, on risque de se reposer entièrement sur ce que l’on croit déjà savoir. Notre point de vue se dirige vers l’arrière, et non de façon équilibrée entre le passé et l’avenir. Ainsi, beaucoup d’adultes refusent de considérer le point de vue des enfants comme pertinents, car l’adulte a plus de connaissances, mais bien souvent moins de curiosité.

Cette attitude auto-satisfaite conduit l’homme à considérer ce qu’il connaît par proximité comme universel. En sciences par exemple, le modèle anthropomorphique a été appliqué à tort pour étudier le comportement d’animaux, de végétaux, de minéraux. Lorsque ce modèle humain semblait trop grossièrement inadapté au sujet étudié, le sujet perdait de son intérêt. C’est ainsi qu’on a fait face, pendant longtemps, à un désintérêt général des mondes végétaux et minéraux, notamment parce que la définition d’intelligence était bien trop souvent pensée comme applicable à l’homme uniquement ou, au mieux, au monde animal. S’il ne s’agit pas de plantes rares, mercantiles, ou de cristaux précieux, alors à quoi bon étudier les plantes et les minéraux ? 

Il en a été de même en anthropologie, où l’on a considéré certains peuples comme sauvages et sous-développés, donc comme n’ayant rien à nous apprendre. Tant que l’homme refuse d’être curieux, joueur, imaginatif, tant qu’il n’étudie que par intérêt, en répondant à ses propres attentes, alors il ne peut changer de paradigme, et au fond il n’apprend rien. La curiosité est profondément liée à l’humilité, et l’on oublie souvent les vertus de cette dernière.

Tandis que les humains les moins curieux se targuent de tout connaître, ou du moins de connaître ce qui importe, d’innombrables scientifiques, chercheurs, penseurs, explorateurs, en somme les incarnations de la curiosité intellectuelle, s’exclament “Je ne sais rien !” A une époque où l’on connaît de plus en plus de choses, chaque découverte apporte simultanément plus d’inconnues encore. 

mars curiosité
Photographie du cratère Holden sur Mars, prise par le rover (astromobile) Curiosity
Au travers de cette photographie transparaît l’histoire géologique complexe de la planète rouge.


SOURCE : NASA/JPL-Caltech/University of Arizona (The Red Planet’s Holden Crater)

Pendant longtemps, l’explication scientifique a pu reposer sur un mode simple : l’analogie.

Expliquer, c’était établir un lien entre quelque chose de connu et quelque chose d’inconnu. Alors l’inconnu en lien avec le connu devenait, lui aussi, connu. C’est une démarche expérimentale, comme celle d’un enfant.

Avec la fin du XIXe siècle, l’amélioration des outils scientifiques en parallèle de la correction des théories ouvre et diversifie notre champ de vision. On peut sonder des inconnues, parfois les résoudre pour nous mener à de nouvelles inconnues. On découvre des domaines infinitésimaux (la physique quantique, les neurosciences…) grâce aux nouvelles techniques d’observation. En cela, l’explication est devenu un lien entre plusieurs inconnues. On a beau connaître plus de choses, les explications font intervenir toujours plus de mystère. Une bénédiction pour l’éternel curieux.

D’autre part, la curiosité scientifique, connaissant un essor dont les applications furent très directes, a engendré d’innombrables richesses à l’époque industrielle. Les travaux de thermodynamique des XVIIIe et XIXe siècles par exemple offrirent des théories à la base de l’invention des moteurs et des machines thermiques. Bien peu de révolutions aussi “terre à terre” voient le jour en notre ère, où les techniques fondamentales sont généralement conservées et simplement améliorées, comme c’est le cas pour la synthèse des produits chimiques. Les grands sujets de curiosité contemporains, ceux qui activent le circuit de la récompense chez certains scientifiques, sont souvent d’ordre bien plus métaphysique. Ils interrogent de grands concepts qui nous fascinent depuis toujours : le temps, la matière, le vide… L’intérêt accru pour les neurosciences, l’astrophysique, la physique quantique, la biologie des profondeurs marines et des cimes forestières, n’est pas anodine. On se tourne vers ces “curiosités” qui nous résistent encore, qui nous rendent humbles. C’est que dans les mystères des limites de l’univers, comme des paradoxes physiques, ou du fonctionnement de nos circuits internes, on ne plonge plus simplement par curiosité scientifique, mais par une curiosité bien plus sentimentale, comme si on voulait regarder par le trou d’une serrure, et par une curiosité spirituelle, comme la recherche d’une cosmogonie par exemple. 

Lorsque les curiosités scientifique, sentimentale et spirituelle se mêlent, les explications que l’on recherche sont soudainement plus profondes. Elles touchent à notre nature humaine, à notre place dans le monde, à nos origines. Le scientifique curieux d’aujourd’hui découvre de nouvelles espèces, de nouvelles particules, mais aussi de nouveaux paradoxes, de nouvelles incompréhensions. Et il se demande, tout curieux qu’il est, quel est le sens de tout cela, quelle synthèse en tirer ? Face à ses échecs, ses erreurs, mais aussi face à ses découvertes, il retrouve toute son humilité de petit homme.

socrate connaissance curiosité
Socrate enseigne aux jeunes la connaissance de soi, Pier Francesco Mola (vers 1660)
Dans L’Apologie de Socrate de Platon, Socrate souhaite vérifier l’oracle d’Apollon affirmant que nul homme n’est plus sage que Socrate, en allant rencontrer ceux qui se prétendent les plus sages.
“Quand je l’eus quitté, je raisonnai ainsi en moi-même : je suis plus sage que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux ; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu’il ne sache rien ; et que moi, si je me sais rien, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc qu’en cela du moins je suis un peu plus sage, que je ne crois pas savoir ce que je ne sais point.”

Références

Références
1 Conclusion de l’expérience de Held & Hein (1963). Deux groupes de chatons sont élevés dans le noir. Quelques heures par jour, les chatons sont transférés dans un environnement éclairé. Les chatons du premier groupe peuvent bouger librement, tandis que les chatons du deuxième groupe sont tractés par ceux du premier. Les chatons ont donc la même expérience visuelle, mais ceux du premier groupe sont actifs tandis que ceux du deuxième sont passifs. A la fin de l’expérience, les chatons actifs du premier groupe sont totalement en mesure de bouger dans un environnement éclairé, tandis que ceux passifs du deuxième groupe se cognent aux murs et aux obstacles, comme s’ils étaient aveugles.
2 Dans La Méthode Scientifique, 25 décembre 2019, en réaction à une archive du naturaliste Théodore Monod expliquant “Ce qui me caractérise, c’est la curiosité, la curiosité inlassable. C’est une maladie épouvantable !”
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Cartographie du Cosmos

A rebours des comptes rendus factuels de nos connaissances de l’Univers, voici un voyage poétique à travers le Cosmos dont le but n’est pas seulement de donner des dates et des tailles mais de souligner la beauté du Monde.

Suggestion musicale pour accompagner la lecture
YOM – Songs for the old man

Cartographie du Cosmos 

Comme les cartographes des temps anciens, partons à notre tour à la découverte de l’inconnu. Cette fois, ce ne sera pas à travers les flots et les tempêtes mais à travers les océans de vide de l’espace, à travers les champs d’astéroïdes gelés et les systèmes solaires exotiques et inexplorés de notre univers. Ici, plus de Kraken ou de Sirènes, les dangers sont identifiés bien que nimbés de mystère, ils s’appellent trous noirs et supernovæ. On ne craint plus d’atteindre le bord du monde, on cherche à repousser la limite de l’Univers connu. 

Voie lactée hd
Voie Lactée depuis la Terre

MAX PIXEL /CC0 DOMAINE PUBLIQUE

Embarquons pour notre quête. 

À mesure que nous nous éloignons du lieu de naissance de l’Humanité, ce petit rocher couvert d’océans, nous regardons une dernière fois, avec nostalgie, vers la Terre. Puis nous nous tournons vers l’inconnu et mettons le cap vers le centre de notre Galaxie, la Voie Lactée. Celle-ci a la forme d’une double spirale relativement aplatie. Nous nous trouvons sur l’un des bras de ces spirales, le bras d’Orion, situé dans la périphérie de la galaxie. À mesure que nous nous rapprochons du centre, la densité d’étoiles augmente. Ici le ciel étoilé ne ressemble pas à notre ciel nocturne. Les étoiles sont beaucoup plus rapprochées et nombreuses. Chaque étoile correspond à un système solaire avec une ou plusieurs planètes orbitant autour et il y a des centaines de milliards d’étoiles dans la Voie Lactée. 

ciel poésie
Plus on se rapproche du centre galactique, plus la densité d’étoile augmente

PHOTOGRAPHIE DE JEREMY THOMAS – UNSPLASH CC0

Nous sommes maintenant si proches du centre que dans n’importe quelle direction où l’on regarde, nous ne voyons qu’un amas de lumière, on ne peut même plus distinguer les étoiles individuellement. Vous vous rappelez cette traînée laiteuse que vous admiriez quand vous étiez sur Terre ? Vous êtes maintenant en plein dedans. Soudain, une tache sombre apparait droit devant. Elle s’agrandit à mesure que notre vaisseau se rapproche. Bientôt elle occupe tout notre champ de vision, elle est d’un noir profond, comme vous n’en avez jamais vu. 

Il s’agit du centre de notre Galaxie, le trou noir supermassif autour duquel toutes les étoiles de la Voie Lactée, y compris notre Soleil, gravitent inlassablement. Son nom est Sagittarius A*. Ce grand-père a peut-être connu les débuts de l’Univers. Contrairement aux trous noirs stellaires de masse plus petite et nés de l’effondrement d’une étoile en fin de vie, l’origine des trous noirs supermassifs est encore débattue, donc incertaine. Mais l’on ressent déjà les effets de marée causés par sa masse incroyable qui nous attire inexorablement tel Charybde, ce monstre marin de la mythologie grecque. Nous devons changer de cap avant de franchir l’horizon des évènements au-delà duquel aucun retour ne sera possible. Mieux vaut ne pas s’attarder, qui sait où se cache Scylla ? Nous prenons donc une direction perpendiculaire à l’axe équatorial de la Galaxie, nous pourrons alors l’observer « par le haut » même si cela n’a pas de sens dans l’espace. 

Représentation d’un trou noir comme Sagittarius A*

Nous sommes désormais au-dessus du disque galactique. Nous remarquons de nombreux amas stellaires très denses. Ce sont les amas globulaires où se trouvent certaines des étoiles les plus vieilles de la Galaxie. Notre regard se tourne notamment vers l’étoile HD 140283 aussi connue sous le nom d’Étoile-Mathusalem car ayant un âge estimé à 13.66 milliards d’années, cette grand-mère stellaire serait donc née presque immédiatement après la naissance de l’Univers (estimée à 13.8 milliards d’années). Elle a vu l’humanité naître et se développer. Elle sera sûrement encore là quand nous ne le serons plus. 

Représentation de la voie lactée

WIKIPEDIA – CREATION ARTISTIQUE PAR AKWA L’image a été crée à partir de plusieurs sources : Hubble2005-01-barred-spiral-galaxy-NGC1300.jpg, M101 hires STScI-PRC2006-10a.jpg, Milky Way 2010.jpg.

Nous sommes maintenant suffisamment loin « au-dessus » de la Voie Lactée pour pouvoir observer des galaxies satellites de la nôtre. Celles-ci sont naines et souvent de forme irrégulière. Elles ne possèdent que quelques milliards d’étoiles contre plusieurs centaines de milliards pour la Voie Lactée. Elles s’appellent Galaxies du Grand Chien, du Sagittaire, de la Petite Ourse, du Dragon, de la Carène, du Sextant, du Sculpteur et d’autres encore. On remarque également deux galaxies : le Petit et le Grand Nuages de Magellan. Ceux-ci tournent autour de notre Galaxie, et lui sont reliés par les courants magellaniques, des courants de matières provenant de ces galaxies satellites et que la Voie Lactée absorbe inlassablement.

représentation groupe local
Représentation du Groupe Local. Chaque point correspond à une galaxie. La Voie Lactée et la Galaxie d’Andromède étant les deux plus grandes.

CREATION D’ ANDREW Z. COLVIN (CC BY-SA 3.0) WIKIMEDIAS

Mais nous ne sommes pas seuls. Notre Galaxie a une rivale, ou une amante : la Galaxie d’Andromède. C’est la seule galaxie visible à l’œil nu depuis la Terre. Elle est visible dans la Constellation d’Andromède depuis l’hémisphère nord. D’ici nous pouvons la contempler à côté de la Voie Lactée. La Galaxie d’Andromède possède quelque mille milliards d’étoiles, elle est donc plus grande que notre Galaxie. Chacune possède plusieurs galaxies satellites qui leur tournent autour. Ces deux sous-groupes de galaxies forment le Groupe Local, un nom bien peu poétique pour désigner cet ensemble d’une soixantaine de galaxies. Il existe une grande rivalité ou histoire d’amour entre notre Voie Lactée et Andromède. Ces deux galaxies se foncent dessus à la vitesse de 120 kilomètres par seconde telles deux chevaliers lors d’une joute ou deux amants se retrouvant. Elles entreront en collision dans 4 milliards d’années, pour ne former qu’une seule galaxie géante. Heureusement, il y a tellement de vide entre les différentes étoiles de ces deux galaxies, que lors de leur rencontre, les étoiles se mélangeront presque sans collisions, les deux galaxies fusionnant en une seule. Notre système solaire se retrouverait projeté aux confins de cette nouvelle galaxie, bien plus en périphérie que notre situation actuelle dans la Voie Lactée. Mais hormis le ciel nocturne qui changera, nous ne percevrons rien de ce combat de titans. Tout comme une fourmilière ne remarque pas le combat entre deux guerriers au-dessus d’elle.

andromède galaxy 20h exposition
andromède galaxy 20h exposition

Nous prenons à nouveau du recul, laissant derrière nous ce combat titanesque. Nous pouvons maintenant contempler dans sa globalité le Superamas de la Vierge. Le spectacle qui s’offre à nous est celui de plusieurs amas de galaxies, dont le Groupe Local où se trouve la Voie Lactée et la galaxie d’Andromède. Chaque amas est constitué de plusieurs galaxies de tailles et de formes différentes, et chacune possédant des milliards d’étoiles. En plus du Groupe Local, il y a l’amas de la Grande Ourse, des Chiens de Chasse, du Fourneau, du Lion, du Sculpteur et l’amas la Vierge qui, de par sa position centrale, donne son nom au Superamas.

Superamas de la Vierge.
Représentation du Superamas de la Vierge. Chaque point lumineux représente un amas galactique comme le Groupe Local.

Mais notre voyage n’est pas terminé. Il nous reste encore une étape avant d’atteindre le bord du monde connu, une échelle de gigantisme à explorer. Cette étape, c’est Laniakea. « Paradis incommensurable » ou « horizon céleste immense » en hawaïen. C’est le nom que lui a donné Hélène Courtois, la géographe du cosmos qui a découvert son existence. Elle a choisi ce nom pour plusieurs raisons, une d’entre elles étant que le nom Laniakea est facilement prononçable dans presque toutes les langues. Ainsi tout être humain peut prononcer le nom de l’endroit où nous nous trouvons dans l’immensité de l’Univers. Laniakea est un ensemble galactique englobant le Superamas de la Vierge et deux autres superamas. Et malgré sa taille gigantesque, ses milliers de Galaxies et les milliards de milliards d’étoiles qu’elle contient, Laniakea ne fait que 4% du diamètre de l’Univers observable. Et l’Univers observable n’est qu’une fraction de l’Univers réel. Imaginez les infinités de mondes existant là-bas, dans les étoiles.

laniakea
Représentation de Laniakea, on peut distinguer les trois superamas qui la constitue, celui de droite étant le Superamas de la Vierge. Notre position est indiquée par un point rouge.

Notre place dans l’Univers, notre position dans le formidable ballet cosmique est donc : planète Terre, troisième planète du Système Solaire, Bras d’Orion de la Voie Lactée, Groupe Local du Superamas de la Vierge, Laniakea. C’est sur cette planète unique que l’Humanité est apparue, et devant l’immensité de l’Univers, comment ne pas s’émerveiller devant la diversité infinie des mondes qui nous attendent par-delà les étoiles ?

La Terre est le berceau de l’humanité mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau.

Constantin Tsiolkovski, le père de la cosmonautique moderne.

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Découverte et incertitudes

Maison d’Orion à Pompéi

Dans le cadre particulier du confinement, les Musées Nationaux ont décidé de mettre en ligne de courts extraits de vidéo en rapport avec l’exposition sur Pompéi qui devait initialement s’ouvrir le 25 mars 2020 au Grand Palais à Paris. 

Deux mosaïques dernièrement découvertes et présentées sur la vidéo “Maison d’Orion à Pompéi” sont particulièrement énigmatiques et ont attiré notre attention :

La première mosaïque nous montre un être chimérique composé de 9 têtes et corps (serpent, lion, capricorne, griffon, chèvre ?, chien ?, crocodile ?, renard ?, loup ?). Les iconographies font penser à celle des tapisseries de la Dame à la Licorne. Cette chimère dans sa diversité, est comme contrôlée et agglutinée par un bouclier traversé par un lien et par d’autres liens, l’ensemble des liens étant maintenus par la main d’un bras humain. Un papillon symbole de métamorphose (Orion), surgit de l’arrière d’un individu (Orion ?) qui contrôle la chimère. Cette scène serait alors le moment précis où Orion ayant la maîtrise de toutes les énergies de la chimère peut s’en libérer.

La deuxième mosaïque en 3 plans montre en bas, “Orion papillon” qui émerge d’une chrysalide rappelant un scorpion, pour prendre son envol. Au plan intermédiaire, un ange ailé indique à Orion la direction vers le haut du ciel et au passage le touche à la tête avec un bâton (enrobé de feu ?). Au 3° plan un 2° ange ailé semble attendre Orion pour lui poser une couronne que ce 2° ange tient entre les mains.  

Essai d’interprétation : la constellation d’Orion est visible des deux hémisphères du globe donc elle touche l’ensemble de l’humanité. Orion est associé à Osiris chez les égyptiens, celui qui le premier se libère des cycles de vies et incarnations (symbolisées par le scorpion) en passant par la mort physique et en renaissant éternel et libre. L’éternité à laquelle Orion accède est symbolisée par la couronne (de lauriers ?) tenue par l’ange du ciel. Au passage il est touché par le feu, la lumière qui éclaire sa conscience et l’aide à s’élever vers les cieux. Orion dans certains mythes est vu comme orgueilleux car il postule à la vie après la mort donc se prend pour un Dieu. 

Concernant sa qualification de géant, la connaissance de l’Orphisme (religion des mystères contemporaine aux mythes sur Orion) peut nous aider à comprendre : l’Orphisme enseigne que les humains sont nés des cendres des Titans (les géants) foudroyés par Zeus. L’âme enfermée dans le corps comme dans une prison, porte le fardeau d’un crime originel, celui des Titans; elle ne s’évadera de cette prison, après de nombreux cycles d’existences (transmigrations), que lorsqu’elle sera purifiée, conformément aux règles, par les jeûnes, l’ascétisme et l’initiation qui est essentielle pour connaître l’itinéraire spirituel. Les Titans ou géants seraient les ancêtres des humains. Ayant fait leur temps sur Terre, ces Titans comme Orion, prennent place dans le panthéon céleste et laissent la place aux humains sur Terre. 

Pour revenir à Orion, sa constellation est poursuivie dans le ciel par celle du Scorpion mais jamais rattrapée, c’est à dire que jamais Orion, et les Titans qu’il représente, ne peuvent être repris par les cycles d’incarnations. 

Par ailleurs, Orion est suivi par la constellation des Pléiades, sous l’oeil du Taureau ou Zeus (symbole de la hiérarchie céleste). Les pléiades représentent les humains qui tels les argonautes ou Ulysse peuvent s’engager à un voyage intérieur les menant au sommet d’eux mêmes, à la porte des mystères de la vie et de la mort dont Zeus et ses acolytes surveillent l’entrée. La constellation d’Orion fait écho au passage, la porte qui sépare et relie à la fois la vie et la mort. C’est aussi la porte qui nous relie à nos origines (les Titans). 

Pour finir, Orion et sa constellation, dans ses proportions et ses angles, seraient représentés sur Terre à travers le site de Guizeh et de ses trois pyramides. L’exactitude de ces révélations n’a pas été vérifiée, mais que c’est beau d’imaginer que ce lieu, un des plus universellement connu, soit sur Terre comme un pont et un lien avec cette partie du ciel, demeure de nos ancêtres.

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Articles Découverte et incertitudes

“Nous devons vivre avec l’incertitude” Edgar Morin

« Nous devons vivre avec l’incertitude ». Tel est le titre de l’article tiré du journal du CNRS le 4 avril 2020 à l’occasion d’une interview d’Edgar Morin par Francis Lecompte, à propos de la crise du coronavirus. La vie, nous rappelle-t-il, est un océan d’incertitudes peuplé de quelques îlots de certitudes et nous avions pris l’habitude d’inverser les choses, notamment dans le domaine des sciences, que les polémiques entre experts de la médecine illustrent. Edgar Morin, à 99 ans, continue à nous éclairer et ce, particulièrement quand nous traversons des crises. Son approche globale nous aide à faire les liens complexes et utiles pour mener nos barques dans le monde qui vient : se rappeler de notre communauté de destin, se détacher de la culture industrielle, remettre au goût du jour ce qui fait la qualité de la vie comme l’amour, l’amitié, la communion et la solidarité.

Quelques extraits commentés :

La pandémie du coronavirus a remis brutalement la science au centre de la société. Celle-ci va-t-elle en sortir transformée ?
Edgar Morin : Ce qui me frappe, c’est qu’une grande partie du public considérait la science comme le répertoire des vérités absolues, des affirmations irréfutables. Et tout le monde était rassuré de voir que le président s’était entouré d’un conseil scientifique. Mais que s’est-il passé ? Très rapidement, on s’est rendu compte que ces scientifiques défendaient des points de vue très différents parfois contradictoires…

Commentaire : si trop de monde, y compris beaucoup de scientifiques, s’attendent à ce que la science produise des certitudes, on se coupe de ce qui est le propre de la science, un processus discontinu. Les grandes découvertes sont très souvent le fruit de pas de côté et la plupart du temps elles sont d’abord rejetées par les dogmes en place. Hubert Reeves dans son excellent ouvrage “Malicorne, Réflexions d’un observateur de la nature”1Hubert Reeves – Malicorne, Réflexions d’un observateur de la nature, Première partie, Chapitre 2. Éditions du Seuil 1990 nous dévoile le processus à la fois rationnel et empirique sur comment la “science avance” à travers l’exemple de l’utilisation des mathématiques. A la fin du 19° siècle, les mathématiciens se libèrent. Ils ne sont plus sous le joug de devoir trouver des applications concrètes aux théorèmes qu’ils développent, ils peuvent inventer et sortir du cadre établi. On peut citer un exemple tiré du livre de Reeves à propos d’Einstein qui cherche une réponse à l’orbite imparfaite de la planète Mercure et avec, répondre à la question de la force de gravité. Einstein va trouver ses réponses grâce aux formules mathématiques de Gauss et Riemann que ces derniers avaient développées sans jamais penser qu’elles pourraient servir l’astronomie et engendrer une nouvelles théorie sur les premières secondes de l’univers. 

Sommes-nous en train de vivre un changement politique, où les rapports entre l’individu et le collectif se transforment ?
Edgar Morin : L’intérêt individuel dominait tout, et voilà que les solidarités se réveillent…, ce confinement est peut-être le moment de se défaire de toute cette culture industrielle dont on connaît les vices…, nous devrions prendre conscience que nos destins sont liés, que nous le voulions ou non. Ce serait le moment de rafraîchir notre humanisme, car tant que nous ne verrons pas l’humanité comme une communauté de destin, nous ne pourrons pas pousser les gouvernements à agir dans un sens novateur.

Commentaire : La crise du coronavirus nous fait prendre conscience qu’un grand nombre de services essentiels qu’on avait comme oubliés, poussés par les habitudes du confort, ne vont pas de soi. D’autre part, dans notre monde où la rentabilité économique prime, tout est très imbriqué, avec de moins en moins de marges de manoeuvres. Un évènement inattendu et les faiblesses du système se dévoilent. Nous sommes arrivés au moment où les deux aspects (confort individuel déresponsabilisé et rentabilité primant sur tout le reste) commencent à devenir insoutenables y compris pour une partie de ceux qui en profite. Toutefois, on peut douter que le choc actuel du coronavirus et ses conséquences suffisent à nous faire changer de direction tant un autre virus, celui de la consommation et des avoirs, a lourdement imprégné toutes les couches de population. 

Pour ce dernier virus, il n’y a pas et il n’y aura jamais de vaccin. Combien de chocs faudra t-il pour que chacun ouvre son coeur et crée ainsi ses propres défenses immunitaires ? Car sans cette ouverture du coeur, comment espérer un retour d’humanisme et de solidarité ? 

La décroissance thermo-industrielle est inexorable. Plutôt que de la subir, osons l’anticiper dans nos propres actes au quotidien et décisions. Osons par nous-mêmes effectuer des changements dans nos vies comme le covid19 a su nous l’imposer. Ce faisant, étant moins pris dans des choses futiles et délétères, la vie poétique et la qualité du vivre ensemble pourraient refleurir. A l’image de cette parenthèse où dans les cités on a entendu le chant des oiseaux, où le ciel plus clair a retrouvé la palette de son nuancier, où les voisins se sont vus et parlés, où le temps, abandonnant sa fuite, a rappelé au présent les amis de tous temps. 

On a bien fait la fête sur les pontons supérieurs du Titanic ! C’est le moment de le démanteler par nous mêmes et d’en faire des milliers d’embarcations plus souples et manoeuvrables sans pour cela perdre notre communauté de destin. Des milliers d’arches pour aider à passer tous ensemble les tempêtes qui menacent à l’horizon.

Références

Références
1 Hubert Reeves – Malicorne, Réflexions d’un observateur de la nature, Première partie, Chapitre 2. Éditions du Seuil 1990