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L’adversité et le processus d’apprentissage pour y faire face

Dans le cadre des cours d’arts martiaux au Dojo Shiseikan et des stages organisés à l’Ecocentre de Laboule en Ardèche, nous avons pensé utile de partager nos expériences pédagogiques pour que peut-être, à terme, ceci puisse être considéré comme une contribution à l’éducation des générations à venir. Notre but ici n’est pas bien sûr de se substituer aux institutions en charge de cette fonction mais d’explorer d’autres pistes, d’inspirer d’autres voies. Dans ce sens, un premier article a été réalisé sur le sens de l’effort, et cette fois-ci, nous proposons de partir à la découverte du processus d’apprentissage face à l’adversité. 

C’est dans le cadre d’un stage en Ardèche d’une semaine avec des enfants et des jeunes que ce sujet a été développé. En effet, si les immersions à l’Ecocentre de Laboule sont des opportunités pour pratiquer plus intensément les arts martiaux et se plonger dans la nature sauvage, ce sont aussi des échanges pour apprendre à penser ensemble. Ainsi, chaque semaine voit fleurir des mots qui seront définis, commentés, illustrés par des événements partagés afin que chacun, non seulement élargisse son bagage intellectuel, mais surtout l’associe à ses propres expériences quel que soit son âge.

[Photo d’une séance de “mots” – Automne 2023]

Lors du dernier stage d’automne 2023, le premier mot qui est apparu a été celui de l’adversité. Chaque jour, d’autres ont suivi mais finalement c’est le processus d’apprentissage face à l’adversité qui a été l’aspect central de ces moments de pensée partagée, qui,  en apparence, ressemblent à ce que vivent les enfants sur les bancs de l’école. En réalité, le choix de ces temps particuliers de rencontre est dicté par les opportunités, afin que chacun soit le plus concerné et impliqué possible. Au fil du temps et compte tenu que cela fait quinze ans que ces bulles de pensée reliées à la pratique ont lieu, le constat est que pour la très grande majorité des participants ceci est nouveau. Ce n’est pas la participation à un atelier de philosophie pour jeunes qui leur est nouveau, mais le fait de l’associer à leur vie de tous les jours. Quand les mots sont non seulement compris mais que l’individu se les ai approprié harmonieusement, les reliant à son champ d’expériences vécues, une réelle progression en découle naturellement, une certaine empathie réciproque incluant l’individu, l’enseignant, les mots signifiés, les situations vécues, comme le traduit Hartmut Rosa avec son principe de résonance. 

Hartmut Rosa définit la résonance en la distinguant d’abord du concept d’autonomie dans nos sociétés contemporaines et accélérées, où “chacun est seul dans la constitution de ses ressources et dans leur fructification” (p.33). A contrario, la résonance “est à l’œuvre lorsqu’il y a rencontre avec un autre” (p.34). Pour que la résonance ne s’arrête pas à une relation fonctionnelle et qu’elle devienne réussie, “vibrante”, il faut “être prêt à écouter la voix de l’autre et à rendre la nôtre plus perceptible” (p.34), et finalement être touché, atteint, ému. L’interaction ainsi créée ouvre d’autres perspectives qui permettent “d’ouvrir un horizon ou une relation avec le monde que [l’on n’avait] pas auparavant” (p.37), en d’autres termes, de rendre le Ma1 opérationnel, cohérent, traduisible et accueillant. Dans le contexte des stages, les mots vont petit à petit toucher les enfants psychologiquement et dans leur expérience concrète de la vie quotidienne. Ils peuvent alors sortir d’une vision où l’appropriation des concepts et des idées se limite à la connaissance intellectuelle. 

Ainsi, chez certains jeunes qui multiplient les stages, cela permet l’émergence de comportements, de réflexions, d’une originalité, créant un groupe hétérogène où les différences sont cultivées dans leur complémentarité. N’est-ce pas là un des aspects essentiels de l’éducation ? Alors comment mettre en œuvre une éducation, dans le sens étymologique du mot : educere, faire sortir de chacun ses potentiels ? Dans nos stages le choix pédagogique est de partir d’où en est chacun pour se frotter à l’adversité qui lui correspond, et sans aucun jugement ou classement quant à la réussite du dépassement de l’obstacle ou la durée du processus. L’essentiel est d’aider chacun à prendre confiance en soi-même et aux autres. 


La définition classique du mot “adversité” (“État de celui qui éprouve des revers ; malheur, malchance” d’après le Larousse) n’est pas du tout la façon dont ce mot a été abordé pendant le stage. Compte tenu de ce qui nous relie, i.e. la pratique martiale, l’adversité a été plutôt vue comme un mur, une rivière, un paysage inconnu, quelque chose qui dans le parcours de la vie nous met à l’épreuve et nous oblige à trouver des solutions pour continuer à avancer et surtout y trouver un sens. En tant qu’adulte cette adversité n’a pas été spécialement recherchée mais se présente dans le cours des événements, car la vie nous amène naturellement à des épreuves permettant de clarifier l’échelle de valeurs et de besoins. En revanche pour les jeunes il semble essentiel de créer des situations encadrées où l’adversité va être expérimentée, à l’image des rites de passages que toute civilisation traditionnelle inclut dans son fonctionnement. En traversant cette adversité vécue comme un rite de passage aujourd’hui devenu particulièrement rare, le jeune peut se constituer comme adulte responsable, impliqué et autonome.

Tout au long de la semaine de stage, plusieurs situations ont été soulignées à titre individuel ou collectif pour donner de la matière à cette notion d’adversité. Ce qui s’est dégagé est cette idée de processus d’apprentissage face à l’adversité car quand on y fait attention, on constate que s’il s’agit d’une réelle adversité, des comportements non constructifs sont souvent les premiers venus. Lesquels ? Tout d’abord l’entêtement, c’est-à-dire buter contre un mur et y revenir, ou au contraire la passivité qui finalement aboutit inexorablement à un désengagement. 

Pour illustrer ce second comportement, il est évident que quitter la lecture d’une bonne bande-dessinée confortablement assis au coin du feu pour philosopher collectivement autour d’une table sur des mots, relève d’une réelle adversité. Si grâce au dessert ou quelques blagues, l’on arrive à relever ce défi, la pensée commence à émerger :

-“ Ah oui ! Tu nous as emmenés en haut de la montagne et tu as demandé aux plus jeunes de revenir chacun individuellement à la maison accompagné d’un adulte simple spectateur, c’est-à-dire de trouver le bon chemin. C’est cela l’adversité ! “

A partir de cet exemple concret, l’échange de fond pouvait commencer, traduit par une prise de conscience :

– “C’est vrai que je me suis inventé des repères pour justifier d’aller dans un sens alors que je dirigeais le groupe à l’opposé de la maison.”

Reconnaître ne pas avoir les moyens, les outils, les connaissances pour être autonome, relève de l’auto-évaluation : c’est en évaluant ses capacités qu’émerge finalement le discernement et l’objectivité de ses propres limites face à l’obstacle, et qu’alors le besoin d’être conseillé peut être identifié et idéalement accepté. Néanmoins, partir à la recherche de conseils ne suffit pas toujours, il faudra également passer par une formation, un apprentissage auprès d’un enseignant, comme par exemple apprendre à utiliser une boussole, ou plus difficile encore, savoir choisir de bons repères sur le sentier et garder son cap grâce à la perception de son orientation dans l’espace quel que soit le terrain. Cette phase active face à l’adversité permet de boucler un premier cycle. Une fois cette préparation effectuée, l’obstacle peut à nouveau être affronté, cette fois avec la présence de l’enseignant incarnée en soi mais aussi de nouvelles armes, de nouvelles acquisitions, de nouveaux savoirs.

– “Ça prend du temps dis donc ! 

– Oui et c’est bien de se dire que l’autre est ici pour nous aider à trouver les bonnes étapes.”

Des mots se sont alors mis en boucle : le mur de l’adversité, les faux comportements, l’acceptation de s’auto-évaluer, la conscience de devoir prendre des conseils voire de se former, s’entraîner, et enfin la difficile confrontation à nouveau à l’adversité avec cette fois-ci la reconnaissance de l’apport de l’autre plus expérimenté. La boucle du processus d’apprentissage face à l’adversité pouvait se dessiner :

Quelques réflexions des enfants suite à la “digestion” de ce processus :

– “On a vite fait de ne choisir que les terrains et les situations où on est forts ! 

– Oui, et moi je n’aime pas être mis en échec. En général je réussis dans tout ce qu’on me demande.

– Il faut reconnaître que parfois je préfère t’ignorer, l’adversité que tu me proposes ne me concerne pas.”

Cette dernière réflexion a engendré tout un débat. Est-ce bien justifié de ne pas s’impliquer dans certaines activités qui nous mettent à l’épreuve ? En refusant de s’impliquer, ne perd-on pas l’opportunité d’acquérir d’autres façons d’être ? En effet, certaines adversités nécessitent plusieurs aller-retours, et donc plusieurs auto-évaluations, préparations, entraînements et de nouvelles confrontations à l’obstacle. Se dégage alors la nécessité de faire preuve d’empathie, de travailler la mémoire et l’attention, d’être ordonné, de cultiver la persévérance, et surtout de constater nos nombreuses ignorances. A la surprise générale, deux formes de l’ignorance se sont distinguées : ignorer les autres et faire preuve d’ignorance. 

Ignorer les autres est la première définition identifiée par les enfants. Pourtant, tous les jours c’est bien parce qu’on ignore les pensées, les centres d’intérêts, le travail, les sentiments etc. de l’autre que le monde se rétrécit pour ne tourner que dans ses centres d’intérêt et ses propres domaines de prédilection. 

– “De toute façon quand on part en promenade, je ne me pose pas de question, je n’ai qu’à suivre.

– Oui mais tu vois si jamais on se perd, comment on rentrera ? Finalement apprendre à devenir autonome dans nos déplacements c’est utile.

– Et moi, c’est vrai que la première année, je me suis beaucoup ennuyé pendant le ramassage de châtaignes, mais là avec la machine et le tracteur c’était super, j’ai  même fini par bien aimer tirer tous ensemble les lourds filets dans la pente.”

Ces immersions en vie collective sont donc des opportunités essentielles pour interroger, non seulement ses rapports aux autres et à ce qui nous est étranger, mais surtout cette façon de vivre où l’autre pourrait être ignoré car seulement prestataire de service, de loisirs ou de savoirs. Affronter des situations d’adversité, n’est-ce pas le propre de la voie martiale, du Do, pour qu’ainsi le processus d’apprentissage qu’elle implique devienne constitutif de notre façon d’être ? Une façon où non seulement nous n’avons pas peur d’affronter une nouvelle adversité mais nous ne l’évitons pas afin de continuer à s’éduquer et faire sortir ce qui n’était auparavant que potentiel. Comme conseillé par Krishna dans la Bhagavad Gita dans son dialogue avec le guerrier Arjuna : “Tu as droit à l’action, mais seulement à l’action, et jamais à ses fruits ; que les fruits de tes actions ne soient point ton mobile; et pourtant ne permets en toi aucun attachement à l’inaction.” (p.28)

[Arjuna et Krishna sur le champs de bataille (https://kriyayoga.fr/bhagavad-gita-art-de-action-karma-yoga/)]

Bibliographie

Baghavad Gita, traduite par Sri Aurobindo (1984) ed. Maisonneuve.

Morin, Edgar (2015) Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Points.

Rosa, Hartmut (2022) Accélérons la résonance ! Pour une éducation en Anthropocène, ed. Le Pommier.

  1. Le « Ma » nous vient d’Orient et tout particulièrement du Japon. Il est cette manière particulière de relier deux choses distinctes et souvent opposées, en créant une zone, pas simplement spatiale mais aussi temporelle, où l’on peut reconnaître et apprécier la rencontre harmonieuse des deux choses sans pour autant les confondre. ↩︎
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Compréhension et incompréhension

Liberté, égalité et fraternité, des amis en périls ?

Les moments de crise sont souvent l’occasion de pouvoir élargir nos réflexions, nos compréhensions de certains sujets. Aujourd’hui c’est sur les trois mots qui composent la devise de la République Française que notre attention s’est portée. « Liberté, égalité, fraternité ».

Si nous posons la question à tout un chacun du sens de ces mots, force est de constater que les réponses sont loin d’être convergentes. Ces trois mots ont-ils encore un sens profond pour chacun d’entre nous et agissons-nous pour se les réapproprier?

Il y a, certes, bien d’autres choses en tension, en panne, ou sur le point de succomber dans ce premier quart du 21ème siècle. Toutefois, le flou, la confusion autour de ces valeurs fondatrices nous a amené à remettre ces mots en perspective. Ainsi, dans un premier temps, confrontons ces mots au réel. Que sont devenues ces valeurs au sein de notre société actuelle et ce, depuis leur origine?

1/ Se poser la question de l’origine

En 1880, sur le fronton de tous les bâtiments publics de France, apparaît la fameuse devise « liberté, égalité et fraternité ». En même temps, Jules Ferry instaure l’école pour tous, gratuite et laïque et l’instruction obligatoire (les parents gardent la liberté d’instruire leurs enfants par eux-mêmes ou par des précepteurs, voire une école privée et religieuse). Pour en arriver là, il a fallu un siècle. La révolution française de 1789 marque en effet le départ de ce qui était d’abord des revendications. 

Dans l’esprit des républicains des années 1880, la consolidation du régime politique né en 1875 passe par l’instruction publique. En laïcisant l’école, ils veulent affranchir les consciences de l’emprise de l’Église et fortifier l’instinct patriotique en formant les citoyens, toutes classes confondues, sur les mêmes bancs. Dans un premier temps, pour libérer l’enseignement de l’influence des religieux, le gouvernement crée des écoles normales, dans chaque département, pour assurer la formation d’instituteurs laïcs destinés à remplacer le personnel congréganiste (loi du 9 août 1879 sur l’établissement des écoles normales primaires). Dans un second temps, il met en place l’école laïque et gratuite pour tous.

2/ Poser le contexte pour éviter les erreurs et les incompréhensions et prendre du recul

Les concepts de liberté, égalité et fraternité ont pris une importance capitale au milieu du 18° siècle en réaction aux abus de ceux considérés alors comme oppresseurs (le pouvoir religieux et la noblesse). Avec la révolution de 1789 en France, on ne va pas hésiter à faire table rase de ceux considérés comme les oppresseurs. Le régime alors mis en place est nommé celui de la terreur. 

La terreur est-elle le bon moyen pour générer liberté, égalité et fraternité entre tous ? 

Il ne s’agit pas ici de faire le procès des révolutionnaires car il est incontestable qu’il y avait des abus de pouvoirs tant de la part du clergé que de la noblesse, mais le départ de ce nouvel idéal n’a pas été serein et une partie du bébé a été jetée avec l’eau du bain. On souligne cet aspect car quand l’histoire nous met à nouveau dans une période charnière avec des bouleversements, il est tentant pour certains de chercher des boucs-émissaires pour les rendre responsables de tout ce qui ne va pas et se poser comme donneurs de leçons, sans au préalable s’être bien regardés.

3/ Chercher à poser un regard impartial sur l’histoire

Le sujet est très vaste si l’on s’attache à décrire dans l’histoire et selon les pays comment ces droits se sont plus ou moins mis en place, voire pas du tout. On va s’intéresser plutôt à dévoiler les grandes causes qui font qu’aujourd’hui on s’éloigne toujours plus de cet idéal de liberté, égalité et fraternité – repris partout dans le monde – au lieu de s’en rapprocher avec le temps. Enfin, il nous faut souligner que dans de nombreuses parties du monde, l’idéal de liberté, égalité et fraternité n’a jamais été mis en oeuvre, donc à fortiori la question de s’en rapprocher ou de s’en éloigner ne se pose pas. 

L’altération de la liberté :

La liberté à l’origine est le pouvoir qui appartient à l’humain de faire tout ce qui ne nuit pas au droit d’autrui. En instituant la liberté comme un droit acquis à la naissance, avec le temps l’égoïsme et l’avidité ont proliféré, poussé par la profusion matérielle et la vie confortable. Les individus centrés sur eux-mêmes finissent par se couper de leur intériorité, des autres et de la nature et ne sont donc plus responsables et solidaires. En reflet, le système néolibéral s’est imposé partout dans le monde, transformant tout en valeur marchande quelles que soient les conséquences sur le monde et les êtres. S’appuyant sur la consommation d’énergie, la technologie et les systèmes d’informations, le néolibéralisme encourage l’hubris (la démesure) à toutes les échelles. C’est ce système qui aujourd’hui nourrit toujours plus les individualismes et le repli sur soi et avec l’acceptation de pertes de libertés collectives et l’incitation aux libertés individuelles débridées, surtout quand elles génèrent du commerce. 

Pour citer cette altération de la liberté, on va se permettre un néologisme : liber’rien. 

La perversion de l’égalité : 

Pour rappel, l’égalité a été définie en rapport avec la loi qui est la même pour tous et les distinctions de naissance ou de conditions sont abolies. Chacun est tenu à hauteur de ses moyens de contribuer aux dépenses de l’Etat. Au XIX° siècle et jusqu’à 1968, le progrès matériel génère une nouvelle forme de vie: la modernité. Elle se caractérise par la profusion de moyens matériels et le confort grâce à l’utilisation des machines. Elle fait naître la croyance que plus il y a de progrès, meilleure sera la vie. Et ce modèle va petit-à-petit s’imposer partout dans le monde. Aujourd’hui, les systèmes technocratiques avec leurs experts techniques et une centralisation massive, pèsent de plus en plus dans la société et sur les prises de décisions. En étant toujours plus éloignés des besoins des gens du terrain et ne font qu’augmenter les écarts. Et le développement du numérique, malgré ses promesses, accentue cette oppression en imposant pour tous (ce qui est une forme d’égalitarisme) toujours plus de règles hors sol et unifiantes à trop grande échelle ce qui finit par gommer l’altérité.

La perversion de l’égalité telle qu’on l’entend peut-être définie par l’égalitarisme. 

Et la fraternité ?

Depuis l’avènement du monde industriel, et en son sein, a-t-on pu réellement faire preuve de fraternité à l’échelle collective ? Oui bien sûr à travers les classes sociales, les minorités et parfois les nations. Mais ces fraternités particulières ne masquent-elles pas la panne d’une fraternité universelle qui n’arrive pas à émerger tant l’avoir est central et prioritaire ?

Aujourd’hui, dans les quartiers difficiles du monde entier et pour tous ceux en difficulté sociale ou vitale, la fraternité est brandie comme allant de soi alors que dans les faits elle est totalement absente. Une telle hypocrisie provoque en réaction toujours plus de conflits et de rejets violents. 

Pour la fraternité, on se permet une nouvelle fois un néologisme : défraternité, qu’on peut définir comme l’indifférence masquée.

Pour conclure, l’école laïque, gratuite et pour tous n’est bien sûr pas responsable des liber’rien, égalitarisme et défraternité. Là où elle existe, elle apporte des choses essentielles et très bénéfiques comme l’instruction pour toutes les classes sociales et pour tous les sexes, la fin ou au moins une grande diminution de l’asservissement des enfants au travail. Mais cette école s’est comme faite déborder, et depuis plusieurs décennies mais sans succès, on cherche à la réformer pour qu’elle génère à nouveau cohésion, implication et finalement l’envie et la joie d’être citoyen. 

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| PHOTOGRAPHIE PAR ROBERT DOISNEAU

On peut prendre un exemple d’insuccès. En France, lors des attentats de 2015, l’école a eu comme obligation de réactualiser l’enseignement moral et civique avec dès le lundi suivant les événements, des échanges et des débats sur le sujet. Par endroit, il y a eu des tensions, voir des rejets tant adhérer ou être exclu semblait le choix binaire unique. 

Cette façon dualiste de gérer les choses se répète partout et pose de plus en plus de problèmes. Si à l’école on pose l’égalité comme une évidence mathématique, on a vite fait de faire croire que tous les enfants sont égaux. En droits, c’est certain, mais du point de vue de la constitution de chaque enfant, c’est dangereux. C’est comme de dire qu’un hêtre et un pin maritime sont les mêmes car ce sont des arbres : c’est dangereux pour la biodiversité car alors on peut en remplacer un par l’autre sans vergogne et c’est également dangereux pour chaque arbre. Comment va vivre le hêtre implanté l’été sur la côte méditerranéenne et comment va vivre le pin maritime l’hiver sur les escarpements de la montagne enneigée ? Pour parvenir à se réapproprier ces mots, à élargir nos horizons, le concept du ” Ma ” pourrait peut-être contribuer pour chacun à sortir de l’inertie et du sentiment d’impuissance face à certains maux de nos sociétés.

Lire notre article :

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Éducation Films Interdépendance et interstices Poésie

Vincent Munier : L’éternel émerveillé

Le monde ne mourra pas par manque de merveilles,
 mais uniquement par manque d’émerveillement.

La voix humble, le regard franc, Vincent Munier est au diapason, à l’écoute, un animal parmi les autres, dans un respect absolu de l’altérité du vivant dans ce monde que nous avons en partage.

On accède à travers ce documentaire à plusieurs notions de fond qui font écho à la sensibilité humaine : le respect, l’humilité, l’importance de la transmission de ces valeurs envers la nature et le vivant par son père, l’émerveillement renouvelé sans cesse face à la beauté du monde. La patience, la mise en confiance.

Cette beauté du monde, source de l’émotion la plus vive, nous est proposée par ce regard particulier.

Et c’est parce qu’il n’a jamais perdu cette direction fondamentale de parler avec ce qu’il est, avec son cœur et ses émotions authentiques, que la force des images de Munier reste intacte, et qu’il peut autant inspirer, à la fois par son travail photographique et par ce qu’il est en tant qu’humain.

C’est également parce qu’il ne considère jamais la photographie comme une fin, mais toujours comme moyen, un outil pour véhiculer des émotions, que ses images ont cette densité si rarement présente. Cette différence est également cruciale pour comprendre le fond qui anime cet homme et qui fait de son regard une singularité remarquable.

Vincent Munier ne cherche pas l’image à tout prix, il cherche la relation. Avant de fixer une vue, il cherche d’abord à rencontrer l’animal, et ressentir cette émotion de la rencontre. Cette priorité décidera de toutes les conséquences, qu’il en reste des traces visuelles ou non.

Telle une éloge de la relation, aux autres, au vivant, ce film nous témoigne de l’importance de ce que l’on vit, de ce que l’on ressent, et comment ce fil directeur peut être à la fois un moteur puissant d’action, de rayonnement, de rencontre avec le beau, mais également un pilier d’intégrité et d’authenticité qui permet de garder un cap et d’être toujours au plus juste de ce que l’on est et de ce que l’on fait.

Cette conscience de ce qui est moteur pour lui, lui permet de renouveler sans cesse ce regard émerveillé sur le monde, tel un enfant qui découvre ce qui l’entoure, et de ne jamais se lasser de ce geste répété.

C’est ainsi qu’il peut accepter cette promesse de l’invisible, où rien n’est garanti, avec bonheur et passer des heures sans que rien ne se passe, et se positionner de telle façon que chaque moment vécu est reçu comme un don et non comme une victoire sur les êtres et les choses.

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En toute cohérence éthique, sensible et à taille humaine, Vincent Munier a créé une maison d’édition afin de produire et de diffuser ses livres : http://www.editions.kobalann.com/